20 avril 2008

Ô PIGNON

Cette semaine, dans le journal "Le Canada Français" de St-Jean, j'y ai lu un texte que je désire partager avec vous aujourd'hui. Je n'ai jamais douté des qualités d'écrivain de Nil Auclair (je m'étais d'ailleurs procuré son livre "Cancer d'la gorge"), là, il m'a jeté par terre.


«Tiens, salut! Tire-toi une bûche...»


«C’est la 11...» qu’on m’a dit au poste infirmier. Je franchis la porte d’une grande chambre. Grande chambre? Enfant, je n’y avais jamais accès. Elle était réservée, la grande chambre d’en avant, à la visite rare ou à de la parenté sur «les planches.» Confiné dans la p’tite maison j’écoutais les conversations des grands. Mais en ce dimanche 6 avril, j’entre dans une grande chambre. Un peu sur la pointe des pieds. Je m’attends au pire. Enfin. Presque.


«Tiens, salut! Tire toe une bûche...» J’écoute Jean-Guy (un cousin) me raconter. Non. Me déballer son cadeau de Noël. «Tu sais les deux poumons... Mon cancer est trop agressif pour une autre opération... Je n’ai plus de force. Ça achève... Que veux-tu... Ça été mon cadeau des fêtes reçu le 22 décembre. Mais je mange et dors bien.» Tout ça avec un calme désarmant. Presque avec une certaine désinvolture.


Ce solide gaillard de 71 ans, maintenant oxygéné 24 heures par jour, n’a rien perdu de son hospitalité. C’est le Jean-Guy que j’ai toujours connu: jovial et lucide. Il s’informe de mon cancer, de mes occupations. «J’ai été hospitalisé quelques semaines. Je suis retourné à la maison. Une heure tout au plus. J’ai dit à Louise, appelle l’ambulance, je manque d’air. Je me suis retrouvé dans mon même lit. Voilà, je suis maintenant aux soins palliatifs. J’attends Louise ce soir.» Il parle toujours de sa Louise avec émotion. Cette Louise qui l’accompagne depuis près de 50 ans.


Je bois ses aveux avec des froideurs dans le dos et des sueurs au front tout en jetant un coup d’œil sur les mots cachés qu’il termine. C’est presque l’absurdité de tout cancer. Jean-Guy, ciblé plus que jamais, est resté un guerrier. Sans le savoir, il me retourne en pleine figure mes propres mots: «La lutte a bien meilleur goût pour son propre bonheur que la détresse et le désespoir.» Je retrouve ce même bagarreur attaché aux siens, à ses convictions, à son milieu social et pour qui le travail et la fidélité ne sont pas des corvées, mais des devoirs. Nous avons eu aussi le temps de nous dire qu’au rythme où vont les choses, dès 2010, une personne sur deux souffrira d’un cancer. Et de nous dire que l’espoir demeure; que depuis 20 ans, les taux de mortalité ont chuté de 10%; que la recherche et la prévention sont nos alliés.


«C’est le numéro 11...» qu’on m’avait dit. Erreur. Jean-Guy était dans la «grande chambre d’en avant.» Depuis cette rencontre, je rêve à ceci: bannir les numéros aux portes de ces «grandes chambres.» Je souhaite qu’en plein centre de leur porte un nom soit écrit. Que les ordinateurs gardent en mémoire les numéros. On se souvient d’un homme ou d’une femme. Pas d’un numéro.


Il devait être 15 heures quand j’ai franchi la porte de la «grande chambre» de Jean-Guy Bessette. J’avais pris bien soin de remiser, dans son coin, la «bûche» que j’avais «tirée», selon ses volontés. Je n’en aurai plus besoin. Lui non plus.


Jean-Guy a quitté sa «grande chambre» à tout jamais, le 12 avril aux environs de 06 heures 30.

Nil Auclair


Et moi, j'étais au travail, sur mon heure du "lunch", lorsque j'ai lu ce texte. Le matin même, j'avais apris qu'une collègue de travail était décédé dans la nuit. Elle n'était pas une amie ni une parente, juste une collègue que je croisais dans les corridors. Mais elle est plus jeune que moi, et elle a de jeunes enfants.

Ça fait réfléchir non ?

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